L’art paléolithique dans son système culturel
II. De la variabilité des bestiaires représentés dans l’art pariétal et mobilier paléolithique
p. 127-152
Résumés
Un essai d'intégration de l'art pariétal et mobilier dans le contexte économique et climatique du peuplement paléolithique supérieur européen, a permis d'élaborer plusieurs nouvelles propositions sur l'explication des variabilités de l'art paléolithique. L'étude des bestiaires figurés conduit à les considérer comme des représentations d'une connaissance taxinomique et éthologique des zoocénoses rencontrées, sous deux formes : une connaissance locale et une connaissance distante, emportée ou rapportée à l'occasion des déplacements des chasseurs paléolithiques. Il est donc logique que les bestiaires figurés dans les grottes ornées ou dans l'art mobilier des habitats ne correspondent pas aux vestiges osseux de faune des sites d'habitat qui ne représentent que la faune locale chassée. Les zoocénoses animales possèdent en Europe occidentale une grande variabilité régionale, chronologique et climatique, qui permet de faire apparaître une correspondance, à un instant, dans une région et sous un climat donnés, entre le bestiaire représenté dans l'art paléolithique et les espèces animales des zoocénoses mémorisées par les chasseurs paléolithiques. Plusieurs modèles différents de bestiaire ont été ainsi mis en évidence. A l'Aurignacien et au Gravettien, un modèle dominant mammouth/rhinocéros/ félin/ours est présent dans la vallée du Rhône, la moitié nord de la France, de l'Europe centrale et orientale, tandis qu'en Aquitaine, un modèle dominant mammouth/cheval/bovinés/cervidés est présent. Au Solutréo-Badegoulien, un modèle unique dominant cheval/aurochs/cerf/biche/bouquetin correspond à la zoocénose de Méditerranée occidentale. Au Magdalénien moyen et supérieur, dans la zone franco-cantabrique, trois modèles cohabitent avec leurs variantes et définissent autant de territoires au Magdalénien moyen et supérieur:
- un modèle A à dominante cheval/bison, avec les variantes A1 à bouquetin, A2 à mammouth/rhinocéros et A3 à renne,
- un modèle B à dominante cheval/renne, avec les variantes B1 à bouquetin et B2 à mammouth/rhinocéros,
- un modèle C tardif, à dominante cheval/bison-aurochs/cerf-biche.
L'analyse de la variabilité spatiale du bestiaire figuré dans les grottes ornées conduit enfin à proposer l'hypothèse que la topographie de la grotte ornée représente en réduction le territoire de déplacement des chasseurs et le bestiaire qui y est figuré, une représentation de la faune vue dans ce territoire: les compositions centrales représenteraient les grands espaces ouverts de chaque zoocénose, les pourtours représenteraient les zones excentrées en latitude ou en altitude par rapport aux espaces ouverts, et les zones de fond-diverticule-passage symbolisent les grottes, fréquentées par les faunes de caverne et l'homme. Cette organisation spatiale n'est pas unique, ainsi que l'a proposé A. Leroi-Gourhan mais est multiple, fonction des modèles de bestiaires propres à chaque culture.
An attempt of integration of cave and portable palaeolithic art in the economic and climatic context of Upper Palaeolithic peopling of Europe has allowed elaborating several new conclusions about the explanation of palaeolithic art variability. The study of the represented bestiary involves considering them as figures of a taxonomic and ethologic knowledge of met zoocenoses under two ways: a local knowledge and a distant knowledge, taken away or brought back during movements of palaeolithic hunters. It is then logic that the bestiary represented by cave or portable art is not equivalent to the bone finds of palaeolithic sites which are sampling only a local hunted fauna. Zoocenoses are showing in Western Europe a large regional, chronological and climatic variability, which allows seeing at a time, in a region and under a climate, a correspondence between the represented bestiary and the animal species from zoocenoses seen and memorized by palaeolithic hunters. Several different models of bestiary have then been discovered. During Aurignacian and Gravettian, a main model mammoth/rhinoceros/feline/bear is existing in the Rhone valley and the half-north of France, central and eastern Europe, while a main model mammoth/horse/bovine/cervid is existing in Aquitaine. During Solutreo-Badegoulian, a unique main model horse/aurochs/deer & doe/ibex is corresponding to the western Mediterranean area. During middle and upper Magdalenian, in the franco-cantabrian area, three models are coexisting with variants. They are defining several Magdalenian territories:
- model A, based on a horse/bison dominant and variant A1 with ibex, variant A2 with mammoth/rhinoceros and variant A3 with reindeer,
- model B, based on a horse/reindeer dominant, and variant B1 with ibex and B2 with mammoth/rhinoceros,
- model C, based on a horse/bison/aurochs/reddeer and doe dominant.
Finally, the analysis of the spatial variability of the bestiary represented in caves allows proposing the following hypothesis: the topography of a painted cave is a scale model of the territory of movements of hunters, and the represented bestiary is a sample of the fauna met by hunters. Inside the cave, the central place is the open space of each zoocenose, the periphery is the off-centred areas in latitude and altitude, and the bottom is the cave itself. Such a spatial organization is not unique, as Leroi-Gourhan said, but is multiple depending on the bestiary models of each palaeolithic culture.
Texte
Citer cet article
Référence papier
François Djindjian, « L’art paléolithique dans son système culturel », ERAUL, 106 | 2004, 127-152.
Référence électronique
François Djindjian, « L’art paléolithique dans son système culturel », ERAUL [En ligne], 106 | 2004, mis en ligne le 16 April 2025, consulté le 19 April 2025. URL : http://popups.lib.uliege.be/3041-5527/index.php?id=3492
Auteur
François Djindjian
Université de Paris 1 & CNRS UMR7041